Je viens de terminer de visionner le film The Danish Girl. (ATTENTION, spoilers à venir alors regardez le film avant de lire plus loin.) Prenant place en Europe à la fin des années 20, The Danish Girl nous invite à vivre l’histoire de Gerda Wegener et Lily Elbe (née Einar Wegener), artistes peintres Danois, et par conséquent le récit de la première histoire documentée d’un chemin transsexuel*.
Depuis plusieurs années déjà, je suis touchée par le parcours des trans et j’en parle d’ailleurs dans cet article. Mais voilà que ce film, par le jeu sensible des émotions profondes vécues par les personnages, a ajouté une dimension à cette proximité que je sens avec eux : j’ai été témoin de l’époque où il y avait bien des maux pour expliquer ce que ces personnes vivaient, mais aucun mot. Dans le présent article, j’aimerais tenter de mettre en phrases les parallèles que je vois entre mon chemin d’assumance spirituelle et le chemin d’assumance de soi illustré dans le film.
« C’est ma faute si tout ça arrive. » C’est ce que croit Gerda, la femme de Einar. En effet, c’est pour répondre à sa demande que son mari s’habille en femme pour la première fois ; son modèle féminin étant absent et son tableau entamé depuis un moment déjà, elle demande à Einar de poser pour elle afin de lui permettre de terminer son oeuvre. Ce premier contact avec le potentiel féminin qu’il possède déclenche en Einar un processus inattendu.
Mon histoire: Dans le récit de ma vie, je pense à plusieurs éléments déclencheurs: des cours de piano m’aidant à toucher à des émotions enfouies et à recontacter l’adolescente endeuillée, des rencontres chez la psy, oser regarder mes élans intérieurs… Ce sont quelques-uns des éléments qui ont tout fait chambranler en moi. J’en parle plus dans cet article.
Au fil des mois et des années, Lili (la femme en Einar) fait plusieurs sorties publiques et devient le sujet principal des toiles de Gerda. Elle est présentée comme étant la cousine d’Einar. L’histoire relate qu’avec le temps, Lili prend de plus en plus de place en lui et qu’au bout du compte, il ne peut plus l’empêcher de vivre.
Mon histoire : De même, plus j’avançais dans l’exploration de mes poussées de vie et moins j’étais capable de vivre dans l’existence que je m’étais construite. J’ai commencé à étouffer dangereusement dans mon cadre: en voulant contrôler de mon mieux les élans qui m’éloignaient de l’identité que je me connaissais (que je résumerais par le goût de sortir du connu), je me voyais m’éteindre à petits feux. C’est dans cette période que j’ai décidé de tout quitter même si cela impliquait de recommencer à zéro: soit je vivais en perdant tout, soit je restais dans ma vie en me perdant moi.
Cette transition intérieure ne se fait pas sans heurts. Alors que la féminité le/la submerge, il devient très difficile à Lili de laisser vivre Einar. Celui-ci ne comprend pas ce qui lui arrive ; les médecins le disent malade, homosexuel, schizophrène ; sa femme affirme le contraire. Perdu, souffrant, il va jusqu’à planifier son suicide.
Mon histoire : Plusieurs m’ont envoyé des courriels remplis de versets ; on m’a traité de femme adultère, de fille de Satan, on m’a dit perdue, apostat. Pourtant, quelques personnes autour de moi me disaient courageuse. Et moi, et bien je ne savais plus quoi penser ; j’étais en perte totale de repères.
À cette époque, tout ce qui faisait référence à la transsexualité n’était pas connu. Le mot lui-même n’existait pas. Rares étaient les cas déclarés, encore plus les cas assumés, car comment assumer quelque chose qu’on ne peut nommer, qu’on ne comprend pas ? Einar se croyait fou, et avec raison; le phénomène n’étant pas répandu, son expérience se démarquait par une singularité criante, presque distordante.
Mon histoire : Combien de fois ai-je dit : « J’espère un jour trouver les mots pour exprimer la profondeur et la douleur du processus par lequel je suis en train de passer. » Effectivement, la déconversion, bien que vécue par plusieurs, n’est pas un phénomène tant verbalisé. Pendant des années, j’ai navigué dans un océan d’émotions (colère, irritabilité, sentiment de grande liberté, reconnaissance, solitude, peine, etc.) dont les eaux n’avaient aucun sens, mon point d’arrivée m’étant inconnu car mon bateau, bien qu’avançant sur une trajectoire qui semblait mener quelque part, était seulement mené par mes intuitions et essais et erreurs.
C’est la rencontre d’un médecin compatissant à sa cause qui changera la vie d’Einar : en effet, celui-ci affirmera avoir déjà été témoin d’un autre cas similaire, lui confirmant ainsi qu’il n’était pas fou. Pour la première fois, Lili se voit offrir la possibilité de naitreet de prendre sa place légitime.
Mon histoire : Puis voilà qu’un jour ce n’est pas un médecin, mais une vidéo qui m’offre un mot: déconversion. Enfin, je peux nommer ce que je vis et je réalise que je ne suis pas seule à passer par ce genre de transition (voir cet article pour plus de détails). Je peux enfin inscrire ma vie dans un courant plus large que ma seule existence; je peux me relier à d’autres qui passent par des traces similaires et je peux aussi commencer à sensibiliser les gens autour de moi à cette réalité qu’est la déconversion.
C’est dans une scène très touchante que nous pouvons voir Einar dire adieu à sa femme. « Je dois le laisser aller », dit-il en parlant de son côté masculin. Bien sûr, bien plus que des adieux aux gens qui l’entourent, Lili ferme aussi la porte sur un passé d’homme qui ne semble déjà plus lui appartenir. Il cessera de peindre et fera annuler son mariage.
Mon histoire : Comme Lili, j’ai dû dire au revoir : à presque tous les acteurs qui avaient composé les onze années chrétiennes de ma vie, à ma façon de me relier à mon existence, à ma conception du monde, de la vie, de la mort, de la spiritualité, du bien et du mal, aux rituels qui avaient du sens et qui soudainement n’en avaient plus et aux références qui donnaient une saveur particulière à mes choix et actions (la Bible, Dieu).
Après le lâcher prise vient l’acceptation d’un nouveau paradigme, devenu essentiel. Lili n’aura eu que 14 mois pour vivre sa vie de femme. De mon côté, le monde a tranquillement pris de nouvelles couleurs. Le changement de paradigme a été aussi drastique que si toute votre vie vous aviez vu le ciel bleu et qu’un jour, il avait tourné au jaune. Ce n’est ni plus ni moins beau, juste différent. Il m’a fallu me relever de mes cendres, déconstruire mes pensées, , accepter d’assumer mes choix, faire confiance à mon jugement, me dresser dignement dans cette femme nouvelle que je devenait, réapprendre à vivre.
D’un certain sens, The Danish Girl m’a permis de revivre ma propre histoire… et comme je l’ai trouvée belle!
* Il est encore difficile pour moi de bien distinguer les termes trans, transgenre, transexxuel, transsexualité et transgendérisme. Merci pour votre compréhension et votre douceur si jamais vous êtes heurtés par leur utilisation inexacte !
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