Derniers instants

Derniers instants

Tout est difficile. Je sens la fin tellement proche, et tout ce que j’aurais voulu c’est de mourir en paix, chez moi, loin des hommes desquels j’ai passé ma vie à me cacher. Aujourd’hui est le dernier jour de ma vie, car une femme à vélo m’a frappé durement. La rue que j’essaie de traverser, je n’en verrai jamais l’autre côté ; mes pattes arrière brisées refusent de m’aider à avancer. Mes pattes avant, quant à elles, bougent à peine, rigidifiées par la pluie et la fraîcheur de l’air, endolories par l’accident. Me voilà au milieu de cette intersection passante, luttant pour ma vie, essayant de me mettre à l’abri pour mourir en paix. Les gens passent autour de moi sans même me voir. Moi non plus je ne les vois plus : mon corps me fait tellement mal que je n’en ai plus rien à faire de mes ennemis de toujours. Comme si en fait on se rend compte de ce qui compte vraiment dans les derniers instants de notre vie. Je pense à ma vie, aux aventures vécues, aux festins dénichés dans les poubelles, à mes compères avec qui j’ai fait les cents coups. Puis tout à coup, une douleur aigue me compresse le crâne. Un humain vient de me piler dessus, concentré qu’il était à regarder son cellulaire. Comme j’ai mal ! Aidez-moi ! Et voilà… peut-être Dieu entend-il mon cri car c’est à ce moment que deux personnes s’approchent de moi. La femme semble bouleversée ; elle pleure. Elle pleure… de me voir dans cet état ? Je suis touché. Jamais un humain ne m’avait démontré d’amour et dans ces larmes, c’est ce que j’y décèle : un amour réel et une tristesse profonde de me voir moi – l’être aimé – dans cette posture. Aidez-moi ! Je souffre tellement ! C’est alors que l’homme se penche, puis me prend délicatement dans ses mains. Il m’offre lui aussi son amour en me partageant sa chaleur qui calme un peu ma douleur et en me sauvant de l’hostilité de la rue. Protégé, au chaud, aimé et vu pour la première fois de ma vie par un humain, je m’offre à l’Infini. Je laisse la mort venir, je l’accueille. Merci pour votre présence dans mes derniers instants. Je plonge mes petits yeux dans les leurs, puis je me laisse aller. En paix.

San Cristobal de las Casas, Mexique. Alors que je marche dans la rue avec mes compagnons de voyage et qu’il pleut, j’aperçois un rat qui essaie de traverser la rue. Je mets quelques secondes à comprendre qu’il vit ses derniers instants. Mon cœur se brise et bien que j’aimerais le prendre dans mes bras, mon rationnel me raisonne et me rappelle que c’est un animal de la rue et que je ne devrais pas prendre de risques. Nous continuons à marcher, puis au moment où je me retourne pour voir où il en est, un homme lui pile sur la tête involontairement et l’achève. Je n’ai pu m’empêcher de pleurer sa mort, et j’avais un besoin criant d’honorer cette petite vie qui s’était éteinte devant moi.

… d’où cette histoire, que j’ai terminé par écrit de la façon dont j’aurais aimé qu’elle se termine pour vrai.

Commentaires :

Autres articles

qui pourraient vous intéresser :