Comment voit-on la vie en vieillissant ? Comment faire face à l’arrivée de la retraite ? Comment vivre cette transition de vie si importante dans la beauté de ce qu’elle apporte ? Quels sont les sujets qui nous intéressent, qui nous insultent, qui nous préoccupent, qui nous concernent ? On se sent comment, quand on vieillit ?
Je suis dans la trentaine, mais je fréquente plusieurs personnes plus âgées que moi. Non seulement j’enseigne dans un centre de loisirs pour personnes retraitées, mais j’ai aussi des amis qui ont 20 à 30 ans de plus que moi… et je dois admettre que j’adore ça !
Ils me transmettent qui ils sont et osent s’ouvrir sur comment ils vivent ça, vieillir. Au-delà des mots, je les observe attentivement et je note les changements, les mouvements, les petits détails à peine perceptibles.
Il y a cette amie que j’ai connue alors qu’elle approchait la soixantaine. À l’époque, elle était très dynamique et une femme de tête, toujours sur le marché de l’emploi en plus d’être très (très) proactive dans ses approches envers les hommes. Puis les années ont passé – quatre ans seulement – et je l’ai vue se transformer ; s’approcher d’une autre phase de vie. Suite à différents événements et discussions, elle a décidé d’être sobre d’hommes pour un temps et a commencé à vivre dans son corps alors qu’avant, elle vivait la douleur à l’extérieur d’elle-même (pour utiliser ses propres mots). Récemment elle m’a dit comment au magasin on s’était adressé à elle en lui disant : « Ma p’tite madame » et comment ça l’avait insultée. « On ne m’avait jamais appelée comme ça ; c’est comme si tout d’un coup les gens me voyaient comme une personne âgée. » J’ai vécu avec elle cette transition en témoin silencieux et j’ai appris qu’un jour, moi aussi, je serais pour les autres une « p’tite madame » et que peut-être ça me prendrait par surprise.
« Être vieux, c’est quand on tutoie tout le monde et que personne ne vous dit “tu”. »
– Marcel Pagneul
Je pense à un autre ami qui toute sa vie a donné son écoute aux autres, et qui en vieillissant ne se sent plus capable d’offrir autant et apprend à se respecter dans son besoin de solitude. J’ai compris qu’il est important que je mette en place un équilibre sain dans ma vie dès aujourd’hui, autant que je peux.
Il y aussi ces deux amies qui, à l’âge de la retraite, reçoivent enfin pension et rentes. L’une ayant vécu très pauvrement toute sa vie pour cause d’invalidité, se voit capable pour la première fois depuis toujours de s’acheter un café sans trop de culpabilité. L’autre, ayant au contraire eu un bon salaire tout au long de sa vie professionnelle, voit ce changement comme difficilement gérable, car la (très grande) baisse de revenus lui fait extrêmement peur. De les observer vivre ce tournant à quelques mois d’intervalle l’une de l’autre me fait réfléchir à ma propre relation à l’argent et au rythme que je désire adopter, sachant qu’un jour ce sera à mon tour d’arrêter et de faire confiance que j’aurai assez pour vivre sans toutefois travailler durement.
Dans la sagesse amérindienne, il est enseigné qu’on devient vieux le jour où on perd confiance en notre propre pas. En fait, si on pense à l’enfance… Encore bébé, il nous a fallu accepter de risquer le déséquilibre pour apprendre à marcher et à devenir un enfant. En effet, pensez-y : marcher n’est pas chose facile pour quelqu’un qui n’a encore jamais réussi à le faire sans tomber. On est bien en équilibre sur nos deux pieds, et si on veut avancer, on doit accepter de perdre cet équilibre pour le retrouver… un pas plus loin. Et bien vieillir, c’est vivre le processus inverse. Vous savez, c’est ce moment où, tout à coup, on doit regarder par terre pour s’assurer de ne pas perdre pied. C’est cet instant où la notion d’équilibre ne devient plus un acquis mais quelque chose à travailler continuellement. C’est là que je réalise que mes amis sont peut-être plus âgés que moi, mais qu’ils ne sont pas encore (trop) vieux ????
Je me sens vraiment privilégiée d’être entourée de ces personnes car je trouve qu’aujourd’hui, nous vivons de façon tellement isolée que les savoirs et expériences de vie ne se transmettent plus facilement d’une génération à l’autre. Je crois pourtant que cette transmission aide à faire face aux transitions, joies et épreuves que nous traversons. Elle aide à donner du sens aux jours qui passent et à accepter le changement. D’écouter ces amis me parler d’eux me permet de saisir ce que veut dire vivre l’humanité.
À vous qui j’espère vous reconnaissez… merci.
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